Sigurvinsson, l'ancienne gloire islandaise passée par le Standard, se confie: "J’ai découvert la noirceur de Cockerill… et la bière chez vous"
Si aujourd’hui les footballeurs islandais sont connus, c’est grâce à Asgeir Sigurvinsson, qui a été le premier joueur de l’ère moderne à quitter le pays pour tenter sa chance au Standard.
- Publié le 11-09-2018 à 07h02
- Mis à jour le 11-09-2018 à 09h14
Si aujourd’hui les footballeurs islandais sont connus, c’est grâce à Asgeir Sigurvinsson, qui a été le premier joueur de l’ère moderne à quitter le pays pour tenter sa chance au Standard. Un coup de téléphone et un message : rencontrer le meilleur joueur de l’histoire du football islandais ne demande pas beaucoup d’efforts. Il faut dire qu’Asgeir Sigurvinsson apprécie rencontrer les journalistes belges, lui qui a passé huit années de sa superbe carrière au Standard. Ce vrai numéro dix, à la frappe chirurgicale, a épaté les supporters liégeois au moment où Anderlecht avait décidé d’installer une dictature sur la compétition belge grâce à ses nombreux internationaux néerlandais.
C’était il y a quarante ans, déjà. Aujourd’hui, il a décidé de retrouver son Islande et Reykjavik où il possède un magnifique appartement avec vue sur l’océan. "Vous avez de la chance, il ne fait pas trop froid pour le moment", sourit-il dans un français toujours aussi parfait, tranquillement installé dans une salle d’un prestigieux hôtel du centre.
Pendant plus d’une heure, il est revenu, en notre compagnie, sur son départ en Belgique, lui qui avait grandi sur l’île de Westman, riche de seulement 4.000 habitants. Un transfert qui a permis au football islandais d’entrer dans une nouvelle ère. Et de contribuer à la construction de la génération qui a passionné lors des derniers Euro et Mondial.
Comment arriviez-vous à jouer au foot dans une région isolée ?
"Il n’y avait pas beaucoup de monde mais, malgré cela, il y avait un terrain de golf, deux équipes de foot et même une piscine remplie d’eau de mer. Elle était chauffée et nous y allions souvent avec l’école, même quand il faisait moins dix degrés dehors. Tous les jeunes voulaient jouer au foot et dans cette région, il était facile de trouver des endroits où installer des terrains de fortune. Aujourd’hui, un terrain couvert a même été construit, ce qui permet aux enfants de jouer même pendant l’hiver. Il faut dire que c’est une région assez riche grâce aux pêcheurs qui gagnent bien leur vie et investissent leur argent dans les installations locales."
Pourtant, l’île a connu une catastrophe au début des années 70.
"Il y a eu une éruption volcanique. Près de quatre cents maisons ont été brûlées. J’ouvrais la fenêtre de chez moi et je pouvais voir la moitié de l’île en feu. Personne n’a paniqué, pas même moi, car… nous ne savions pas trop quoi faire. Tout le monde a été évacué en bateau vers Reykjavik et il a fallu attendre quelques mois pour que les habitants retrouvent leur maison."
Et huit mois plus tard, vous êtes parti en Belgique.
"J’ai participé à un tournoi international réservé aux U18. J’ai affronté la Belgique et c’est là que Monsieur Goethals m’a repéré. Il en a parlé à Roger Petit qui est venu jusqu’en Islande au mois de mai 1973 pour négocier mon contrat. Je pouvais également signer en Écosse, aux Glasgow Rangers, mais vu que j’étais un milieu de terrain, j’avais peur que le ballon ne fasse que passer au-dessus de ma tête (sourire) ."
À l’époque, il était vraiment impossible de progresser dans le championnat islandais ?
"Il n’y avait pas un seul joueur islandais qui était passé professionnel, si ce n’est le président de la Fédération juste après la guerre. Et puis, on ne savait jouer que quatre ou cinq mois par an, jusqu’en octobre. Après, on devait essayer de trouver des endroits pour s’entraîner mais en hiver, c’était juste impossible."
À 18 ans, vous aviez déjà entendu parler de notre pays ?
"C’est bien simple, je ne connaissais rien de votre pays, et encore moins son football. En Islande, on regardait juste le championnat anglais à la télévision. Et pas en direct, peut-être une semaine après la date réelle du match (rire) . En fait, j’avais juste entendu parler de Bruxelles, Anvers. Et aussi d’Ostende car mon père y allait de temps en temps avec son bateau pour y vendre son poisson."
Cela ne devait donc pas être simple au début, d’autant que vous ne parliez pas le français.
"J’ai d’abord habité durant un mois dans un hôtel près de la gare des Guillemins, avant d’emménager dans un studio dans le centre-ville. J’avais aussi une petite Volkswagen, je m’en souviens encore ! La vie était difficile car je ne comprenais vraiment rien et les Liégeois ne parlaient pas anglais. Les trois premiers mois ont été très difficiles. En Islande, le ciel était clair mais à Liège, il faisait souvent noir, notamment à cause de Cockerill. Mais je n’ai jamais pensé à rentrer en Islande."
Pourtant, il n’était pas simple de rester en contact avec vos proches.
"Vous êtes jeune, donc je vais devoir vous expliquer quelque chose : pour téléphoner en Islande, je devais aller au bureau de poste de la gare des Guillemins, commander une ligne jusqu’en Islande et patienter deux heures avant que le contact soit établi. Cela n’a plus rien à avoir avec aujourd’hui… J’ai également découvert des boissons chez vous, notamment la bière qui n’est arrivée en Islande qu’à la fin des années 80. La légende dit que nous sortions tout le temps avec les joueurs du Standard, mais c’est exagéré. Mais quand on sortait, on rattrapait le temps perdu (rire) . Christian Labarbe disait même : ‘On ne joue pas bien, mais on s’amuse bien.’ "
Vous vous êtes rapidement imposé au Standard et vous avez même ouvert la voie aux autres Islandais.
"Avec l’équipe nationale, nous jouions souvent contre les Pays-Bas ou la Belgique. Les journalistes se déplaçaient souvent pour me voir et je pense que les recruteurs ont commencé à comprendre qu’il y avait du talent dans notre pays. Et du talent pas cher. C’est ainsi que j’ai fait venir mon grand frère en Belgique. Il a évolué à Seraing et, juste avant, à Bas-Oha avec Lucien D’Onofrio. Et lui, il était déjà très malin à cette époque-là. Il savait réaliser de belles affaires…"
Vos succès vous ont permis de développer le football islandais. Et donc d’aider l’équipe nationale à participer à l’Euro 2016 et au Mondial 2018.
"Il fallait peut-être un déclic, en effet. Cela a quand même pris du temps mais, aujourd’hui, nous avons de vrais formateurs, des terrains couverts et une très bonne organisation au sein de la Fédération. Et, par la même occasion, j’ai aidé le Standard à se populariser en Islande car à mon époque, les gens se baladaient avec le maillot du club sur les épaules !"
"Battre la Belgique ? On n’a aucune chance"
Asgeir Sigurvinsson ne voit pas ses Vikings renverser les Diables rouges.
Joueur, directeur technique et sélectionneur : Asgeir Sigurvinsson a pratiquement occupé tous les postes à responsabilités au sein de la fédération islandaise. "Je n’ai pas été président mais je viens de pousser pour qu’un ami obtienne le poste et cela a marché", sourit-il.
L’ancien numéro dix ne garde pas un excellent souvenir de son passage sur le petit banc. Tout simplement parce qu’il n’était pas candidat lorsqu’on lui a proposé de prendre la succession d’Atli Edvaldsson. "Nous avions mal commencé les qualifications pour l’Euro 2004, avec notamment deux défaites contre l’Écosse. Le coach a décidé de partir et on m’a demandé de prendre sa place, mais cela ne m’intéressait pas. Nous avons gagné tous nos matches et concédé un seul nul… contre l’Allemagne. Malheureusement, cela n’a pas suffi car nous avons terminé à un point du deuxième, l’Écosse. J’ai encore un petit peu continué ce boulot mais je n’étais pas assez sévère. Vous savez, moi, je suis quelqu’un de trop bon (il éclate de rire) ."
Ce mardi, c’est donc en tant que spectateur qu’il suivra le choc entre ses deux pays favoris, tranquillement assis sur l’un des sièges du Laugardalsvöllur. "Je n’aurais pas pu manquer cette rencontre !"
Mais il a bien du mal à se montrer optimiste au moment d’évoquer les chances islandaises. "Je vais être franc avec vous : je ne pense pas que l’Islande ait une chance de s’imposer. J’espère le contraire, bien entendu, mais prendre un point serait déjà une excellente opération", grimace-t-il. "Eden Hazard me plaît beaucoup, comme Kevin De Bruyne. Heureusement qu’il est blessé, finalement. Mais Eden, c’est quelque chose. Il est rapide, technique et l’issue d’un match se trouve souvent dans ses pieds. Malheureusement, nous n’avons pas un joueur de ce talent chez nous."
D’autant que celui qui pouvait faire la différence, Johann Gudmundsson, est blessé. "Gylfi Sigurdsson sera notre meilleur technicien. C’est quelqu’un qui travaille aussi beaucoup pour l’équipe mais il n’a pas la vitesse d’un Hazard. Nous, notre vedette, c’est l’équipe, le collectif. Notre mentalité nous pousse à y croire tout le temps, sauf quand on prend un 6-0 en Suisse. À mon avis, cela va pousser le sélectionneur à jouer super défensivement face aux Belges", explique-t-il.
Battre la Belgique s’annonce périlleux. Un succès relancerait l’équipe et lui permettrait d’écrire une nouvelle page de son histoire. "Mais cela n’égalerait pas notre succès face à l’Angleterre lors de l’Euro 2016" , précise-t-il. "C’est pratiquement impossible de faire mieux. En Islande, les gens naissent avec des maillots de Manchester United, Liverpool ou Tottenham. Cela avait donc une saveur particulière."
"Les Allemands voulaient que je joue pour la Mannschaft"
Après une saison en demi-teinte au Bayern Munich, Asgeir Sigurvinsson est parti à Stuttgart, où il est devenu l’un des meilleurs joueurs du championnat. "J’ai même été élu meilleur joueur de Bundesliga en 1984. Ce prix était encore plus beau car ce sont les joueurs qui avaient voté. Selon les journalistes, je n’étais que le deuxième ou troisième meilleur…", sourit-il.
Son talent était si important que les Allemands lui ont demandé de jouer… pour la Mannschaft. "Franz Beckenbauer avait déclaré qu’il lui manquait un Sigurvinsson dans son équipe. Des journalistes m’ont alors demandé si je n’avais pas envie de jouer pour l’Allemagne. Je ne sais même pas si c’était possible sur le plan administratif, mais je suis un petit Islandais et moi, ça me plaît."
"J’ai dû verser ma prime au Standard pour avoir l’autorisation de partir"
Après huit années au Standard, Asgeir Sigurvinsson est enfin parvenu à décrocher un transfert dans l’un des meilleurs clubs européens : le Bayern Munich. Mais cela n’a pas été une sinécure. "En 1981, l’arrêt Bosman n’existait pas encore et Roger Petit n’était pas un homme facile, surtout quand on parlait d’argent. II voulait encaisser une certaine somme et tant qu’il ne l’avait pas, je n’avais pas l’autorisation de partir", dit-il. "Lorsque le Bayern s’est renseigné, il a demandé 1,5 million de mark, soit 25 millions de francs, mais les Allemands ne voulaient en donner que 1,3. Le président n’a pas été correct selon moi, et j’ai été obligé de verser ma prime à la signature au Standard pour obtenir mon bon de sortie."
"Mon fils est coach et les journalistes l’ont surnommé Young Klopp"
Aujourd’hui, Asgeir Sigurvinsson vit dans le centre de Reykjavik, dans un appartement qui lui offre une superbe vue sur l’océan Atlantique. "Et cela me convient très bien", sourit-il. "J’ai soixante-trois ans et j’essaye surtout d’être présent pour ma famille. Je suis encore l’actualité footballistique, j’ai un poste de représentant à Stuttgart mais je n’assure plus la gestion de ma société de boissons. J’ai aussi monté une académie de football en compagnie du président de la fédération et d’Arnor Gudjohnsen. Depuis trois ans, on fait venir des entraîneurs de Barcelone pour donner quelques leçons à nos filles ou nos garçons."
Son fils a également été rattrapé par le virus du football mais il a été contraint de mettre un terme à sa carrière à cause de deux blessures aux genoux. "Il a eu les jambes de sa mère, pas de chance", rigole-t-il. "Aujourd’hui, il est entraîneur adjoint en deuxième division islandaise et cela semble lui plaire. Les journalistes lui ont même donné un surnom sympa : Young Klopp !"